Interview Lysto : « trouver ce que l’on est et pas se forcer à devenir. »
- Polemyque
- juin 13, 2023
- 9:52

Lysto, comment ça va ?
Ecoute ça va bien, un bel été en perspective !
Pourquoi Lysto ?
Alors en fait ça vient de mon prénom qui est Calixte et ce prénom existe également en Italie, c’est Calisto. Je n’ai pas d’origine italienne mais on allait souvent en Italie en famille et du coup ça m’avait donné le diminutif de “Listo”. J’ai rajouté un Y pour faire “gang” (rire) et pour éviter d’avoir le même blase qu’un grille pain bad game dans les magasins Boulanger (rire)
Depuis combien de temps es-tu dans ce foutu Game ?
J’ai vraiment commencé à écrire lors d’un voyage en Amérique du Sud, en 2010. Des fois on se tapait des grandes rouilles et j’avais un carnet (on avait pas pris de portable, tablette, ordi etc), alors j’écrivais des petits trucs, en rimes ou pas…
Ensuite quand je suis rentré en France, il y a eu un décès dans la famille et là, le besoin d’écrire s’est amplifié.
J’écoutais beaucoup de rap, et les rimes sortaient toutes seules. Un ami un peu musicien m’a fait poser sur une instru Youtube et PAF ! Ça fait un rappeur ! (rire)
Pourquoi t’es tu tourné vers le rap en particulier ?
La première nécessité c’était de s’exprimer, d’une manière ou d’une autre. De vider mon sac, mes émotions, mes ressentis. De faire remonter tout ça des tripes, pour vivre mieux ensuite.
De le faire facilement, sans devoir trop se prendre la tête. Un texte, une instru youtube dans sa chambre et c’est parti, on peut le faire !
Quand on était dehors il fallait juste un portable et une enceinte et on pouvait freestyler des heures.
C’est comme le foot. Pour jouer t’as besoin d’un ballon, d’une surface plus ou moins plate avec quatre sac à dos ou n’importe quoi pour faire les cages et c’est bon ! En plus les règles sont simples !
Je pense que ce sont des disciplines que tu peux faire de manière assez autodidacte, c’est pour cela qu’elles sont aussi répandues. Elles sont plutôt simples d’accès et tu peux les pratiquer sans grandes connaissances théoriques en la matière (tactique sportive ou musicale).Tu peux assez rapidement jouer et prendre du plaisir. Tout simplement.
C’est cette simplicité d’accès qui a énormément joué pour moi. De toute façon, à l’époque j’aurais été incapable de suivre un cours de théâtre, de faire du montage vidéo, ou de me poser pour peindre une toile.
Il fallait que je bouge partout, et le rap m’a accompagné.
Aujourd’hui le moyen d’expression c’est toujours le rap, accompagné d’un visuel.
Et puis j’suis un grand fan de rap. Je trouve que depuis longtemps c’est là que réside la poésie, la beauté des mots.
Avant il y avait Brel, Brassens, Léo Ferré, Aznavour, Souchon … c’était dans la chanson française que résidait la poésie. Aujourd’hui on a Kery James, Nekfeu, Jul, Damso, Lomepal, Niro etc.. C’est dans le rap que tu trouves la nouvelle poésie, les textes qui foutent des frissons, qui transmettent des émotions fortes. Sans manquer de respect à ces artistes, aujourd’hui on ne peut pas comparer le niveau de texte d’Akhenaton avec celui de Florent Pagny ou Vianney. Ce n’est pas possible. Pagny et Vianney sont de bons musiciens mais pour ce qui est des textes c’est assez léger.. Le rap ça reste pêchu, c’est encore pas tout lisse… Pour le moment
On parle régulièrement du lien rappeur-beatmaker. La plupart de tes clips ont été réalisés par Faiz. Veux-tu nous parler de cette connexion son-image?
J’ai du mal à sortir des morceaux sans visuels, sans clips. J’adore mettre en image les émotions présentes dans le texte ou la musique. C’est super intéressant, c’est le même processus que pour le texte. Il s’agit de mettre ses tripes, ses tourments ou ses émotions à l’image. Une fois qu’elles sont enfermées dans le cadre, je les sens moins présentes en moi et je suis plus serein. Et c’est trop agréable de voir comment tout ça ressort par le son mais aussi par l’image.
Oui j’ai fait tous mes clips avec Faïz Mainty, c’est un clippeur de fou et nos collaborations fonctionnent bien.
Ce que j’aime avec Faïz c’est qu’il y a toujours de la place pour capter l’instant. C’est super important. Ca veut dire qu’une fois qu’on a balisé le terrain et qu’on a nos gardes fous (lieux, idées de scènes, participants) le reste est donné par ce qu’il va se passer sur le moment. On laisse beaucoup de place à l’instant, il y a beaucoup de spontanéité et ça a toujours rendu de très belles choses.
Si tout était trop écrit, prévu et millimétré à l’avance, je pense que ça m’embêterait. Faut laisser de la place à ce qui va se présenter. Par exemple, sur un des derniers clips, quand je suis en camisole dans une rue fréquentée du centre ville, on ne sait pas ce qui va se passer, quelles interactions il va y avoir avec les passants, comment je vais me comporter, quelles choses annexes vont se présenter à l’objectif etc.. C’est ça qui est bon et qui va donner au clip du caractère. Un peu comme du théâtre de rue en fait, le rendu dépend aussi de l’environnement.
Une fois que tu as le cadre (ce que tu veux faire passer dans ton clip) tu peux t’amuser et tenter des trucs à l’intérieur de ce cadre.
Faïz il a clippé des grands noms, ses clips sont incroyables, il est très pro mais c’est avant tout un homme de terrain, un autodidacte. Il transforme et travaille ce qui se présente à lui. Il arrive sur un lieu, il observe et il en fait une dinguerie. Pas besoin de parler 4H au téléphone trois semaines avant le tournage.
On peut voir un tournage comme une composition, un match, et sur le moment on fait tout pour rendre la meilleure partition possible.

Artiste d’un côté, animateur d’ateliers de l’autre, peux-tu nous parler de cette seconde casquette ?
Oui, de formation je suis Éducateur Spécialisé, donc dans les métiers du social, du lien à l’autre.
La plupart de mes études ont été tournées autour de la place de l’art dans l’accompagnement social. J’ai déjà pu mener quelques ateliers d’expressions dans le cadre de mes fonctions. Mais là aujourd’hui en tant qu’artiste, je commence tout juste à mener mes premiers ateliers conçus et menés par moi-même, en tant qu’artiste. C’est très intéressant, on verra ce que ça donne.
Est-ce que ton expérience t’a poussé à aborder le sujet de la santé mentale dans tes musiques ?
Oui clairement. Aussi bien mes expériences personnelles et professionnelles que la vie en général, ce que j’observe quand je suis dehors.
Mes expériences personnelles car ça m’est arrivé comme tout le monde de ressentir des difficultés psychologiques, d’avoir besoin d’un soutien, de parler, d’analyser. Les dépressions, les burn-out et les troubles anxieux sont des choses très présentes dans notre société et je pense qu’il faut en parler et encourager les gens à demander de l’aide. Car si on ne fait rien, qu’on se replie sur soi ou tente de faire diversion avec des mécanismes de déni, de mises en danger comme de fortes consommations d’alcool ou de drogues alors on peut aggraver la situation et dériver sur des pathologies plus prononcées.
J’ai l’impression que ça devient de moins en moins tabou de dire “je vois un psy”, “j’ai des troubles anxieux” ou “ j’ai fait une dépression ” et c’est bien ! Il ne faut plus que cela soit perçu comme une faiblesse. Selon moi, ce genre d’état vient simplement nous signifier qu’il faut entamer un processus pour mieux se connaître. La force réside dans la capacité de se comprendre.
Mes expériences professionnelles m’ont aussi poussé à parler de santé mentale dans mes textes car j’ai travaillé auprès de personnes en grande souffrance psychique. Ce qui m’a sauté aux yeux c’est d’abord leur manque de liens, d’affections et de considérations dans la société. On ne les regarde pas, on en a peur, car ils représentent ce qui pourrait être la “mauvaise version” de nous même. Au fond, on sait que tout ça n’est pas si éloigné de nous.
Je ne suis pas sûr que l’on puisse se rétablir dans un monde qui n’ose pas nous regarder dans les yeux.
Ensuite d’un point de vue général, je crois qu’il ne suffit pas d’être un grand chercheur en sciences humaines pour remarquer que la santé mentale de la population se dégrade pas mal depuis plusieurs années. La dernière fois j’attendais le train à la gare et je suis tombé sur le magazine “Marianne”, donc un média mainstream qui en « une » de couverture proposait une enquête sur la santé mentale des français et sur la dégradation du soin psychiatrique en France.
On y trouve des chiffres hallucinants : 10 % de la population (sur l’échantillon interrogé) déclarent avoir déjà reçu un diagnostic de trouble psychiatrique, psychologique ou d’addiction.
L’enquête rapporte qu’ entre 2015 et 2020,il y a eu 12 % de patients en plus qui ont été pris en charge pour maladie psychiatrique et que par exemple, pour l’année 2021, la prise en charge de jeunes filles de 15 à 20 ans pour tentative de suicide a haussé de 45 % !! Y’a pleins de chiffres comme ça ! Quand tu lis ces rapports tu te dis qu’il y a quelque chose à faire.* Selon moi c’est pas très étonnant vu le contexte : dérèglement climatique, pandémie, guerre en europe, hausse de la pauvreté, montée de la violence sociale et baisse de la solidarité.. Les gens ressentent une pression. Je connais très peu de personnes qui peuvent affirmer qu’elles sont optimistes pour l’avenir en l’état actuel du monde et de nos sociétés. L’expression “on va dans le mur” est devenue monnaie courante !! Comment une population peut se sentir bien dans ce contexte, n’y a t’il pas des risques de décompensation collective?
Donc y’a plein de choses à réinventer pour aller mieux, et je pense qu’on ne peut rien attendre de ceux qui gouvernent actuellement car ils s’acharnent à faire tenir debout un système qui de toute façon arrive à son terme. Des fois il faut se laisser tomber et reconstruire quelque chose de nouveau et de beaucoup plus vertueux. Il faut prendre soin de nous et prendre soin des autres.
Comment est-ce que la musique contribue à la sensibilisation des maladies mentales ? Par le biais du processus artistique ?
Je crois que cette problématique est présente dans la musique depuis très longtemps, « Requiem pour un fou » de Johnny Hallyday, “spécial” de Laylow, “slim shady” d’ Eminem, “dans ma paranoïa “ de Jul, « Beau la folie » de Lomepal etc.. Pleins de morceaux et de clips y font référence, et de plus en plus..
Puis il y a beaucoup d’artistes qui sans le dire vraiment parlent un peu de leurs “pathologies” et de leurs “démons”, de leurs difficultés en termes de santé mentale.
Même dans des textes et des visuels qui ne visent pas directement à cela, on peut le ressentir : un mec qui rap qu’il met de la Codéine dans son Sprite pour pas penser au lendemain nous parle clairement et sans détours de ses souffrances…
Freeze Corleone dans la chason « Drill Fr Part 4 » en feat avec Gazo dit clairement “dans les pockets j’ai la kichta, le lin, les antidépresseurs et les calmants” Sacré cocktail (rire) !! N’empêche qu’en le disant, il porte clairement ses couilles !!
Le dire fait déjà partie de la guérison. Après l’enjeu c’est de comprendre et d’analyser collectivement pourquoi y’a autant de mal être ou autant de comportements autodestructeurs dans la population et réfléchir ensemble comment retrouver quelque chose de vertueux pour sortir un peu du morbide. Ce n’est pas chose facile, le morbide c’est la solution de simplicité, c’est là où y’a le moins de pression. Si tout est foutu on a pas la pression de réussir ou de bien faire.. “De toute façon c’est impossible tout est foutu !!” On s’arrange bien souvent avec cette logique pour rester immobile..
En tant qu’artiste, remarques-tu une évolution de la perception des maladies mentales dans la société ? Et auprès de l’industrie musicale ?
En tant qu’artiste pas vraiment mais en général je trouve qu’on en parle plus.Par exemple, j’ai remarqué que les jeunes générations (18-25 ans) en parlent beaucoup sur les réseaux sociaux. Y’en a certains qui expliquent leur parcours de soin, et parlent de leurs pathologies. De plus en plus de gens parlent ouvertement du fait qu’il vont voir un psy ou un psychiatre. Y’a un tabou qui saute et c’est super. Les soucis de santé mentale ne sont plus forcément vus comme une faiblesse et les gens atteint de troubles psy ne sont plus forcément considérés comme des fous à lier qu’il faut laisser en marge de la société. Y’a une libération de la parole comme sur pleins d’autre sujet et c’est une bonne chose
La folie fait moins peur et de nouvelles normes sociales laissent place à la bizarrerie. Ça ne plaît pas à tout le monde, mais aujourd’hui on peut un peu plus laisser s’exprimer notre côté foufous. Avant la rigidité sociétale (Travail, Famille, Église) était plus forte et on acceptait moins les débordements. En tout cas c’est ce que je ressens.
A travers tes ateliers, dans quelle mesure l’écriture et la musique servent-elles de moyen d’expression ? Constates-tu une évolution pour ces personnes ?
J’ai pas encore assez expérimenté cela pour répondre à ça profondément mais ce que je crois c’est que l’art sous toutes ses formes peut favoriser la guérison de trouble psy et l’épanouissement d’une personne. L’art peut avoir une fonction thérapeutique pour accompagner un deuil, une séparation, un épuisement mental etc .
Je pense que par le processus créatif on peut sublimer et transformer ce qui nous tourmente. Que l’on peut adopter nos “démons” pour les comprendre et mieux vivre avec.
L’art permet de donner une forme à ce qui nous hante, ce qui reste bloqué dans nos têtes : ces pensées brumeuses et abstraites qui nous parasitent et freinent nos épanouissements.
Le fait de les sortir de nos esprits pour y donner une forme (une toile, une danse, un texte, une sculpture etc..) permet de rendre concret et palpables ces “ démons”, de les fixer sur un support. De cette manière, ces pensées parasites, abstraites et menaçantes deviennent visibles, matérialisées et beaucoup plus concrètes.
Alors on peut les regarder, les écouter et surtout s’en débarrasser. Ce qui est sur ma feuille, sur l’instru, et dans mon clip n’est plus dans ma tête. On peut aussi bien leur donner du poids que les rendre plus légers, voire même s’en moquer (rire)
Enfin mettre son œuvre à disposition des autres vient clore le processus. De cette manière, les choses mises dans cette œuvre ne nous appartiennent plus vraiment: Qui veut pourra s’approprier le texte, la peinture, la sculpture, le rapporter à son expérience et y donner le sens qu’il souhaite. Ce n’est plus qu’à moi, qu’un produit de mon mental. C’est ce que j’appelle la “désidentification”, c’est assez libérateur.

Tes derniers clips traitent principalement de la santé mentale. Quels sont les défis auxquels tu es confronté lorsque tu abordes des sujets aussi sensibles ? Penses-tu risquer d’être moins « mainstream » (moins constellation music quoi) moins écouté ?
Je crois que le sujet de la santé mentale est présent partout, il n’est juste pas exposé de la même manière..
Je me pose pas trop la question mainstream ou pas, des fois j’écoute et vois des clip grave commercial (comme on dit) et je me dit “ waaaaaaaa, j’aimerais trop faire pareil “ et puis des fois je vois un clip à l’ancienne (faut pas croire que c’est moins technique) avec un boom baap, quelque chose de plus underground et je me dis “waaaaaaa j’aimerais trop faire un truc dans le style” haha
En gros moi j’m’en fous, j’essaye de coller au message que j’ai choisis. Si je veux parler de santé mentale ou faire passer un message concernant un sujet qui m’anime, je pourrais autant le faire version Furax Barbarossa ou version Jul. J’aime les deux, pourquoi choisir ?
Le but c’est de s’accorder, pas de faire des clans.
Quels messages souhaites-tu transmettre à travers tes morceaux ? Quel impact espères-tu avoir ?
Le message que j’aimerai transmettre c’est que c’est en parlant des choses qu’on peut les résoudre. Qu’on a plein de choses à réinventer aujourd’hui et que c’est chouette !
Comme je l’ai dit plus haut, je pense qu’on est dans un système à bout de souffle et qu’on va être confronté à une obligation de changement, donc il va y avoir plein de choses à réinventer et franchement c’est excitant. A nous les jeunes générations de prendre le pouvoir !
As-tu un rêve/objectif que tu souhaiterais atteindre en lien avec la musique ?
Je sais pas trop s’il est propre qu’à la musique, en gros c’est juste se sentir bien, à sa place, sans forcer. Et d’un point de vue purement musical, des fois je rêve de monter une structure qui mutualise les moyens de productions (Studio, Ingé sons, réalisateurs, média etc..) pour aider ceux qui débutent ou qui galèrent à trouver des lieux réglo pour produire.
Comment vois-tu ton développement dans les prochaines années ?
La priorité c’est de me sentir bien et aligné, faire ce que j’aime là où j’aime le faire. D’être naturellement satisfait. La vie c’est trouver son Ipséité : trouver ce que l’on est et pas se forcer à devenir …
Devenir autres choses, influencé et faussé par la “commande” sociale et la comparaison aux autres. De base, on ne se connait pas vraiment, il faut apprendre à se connaître. Et on peut découvrir de sacrées choses.. On peut se rendre compte qu’en vivant de pas grand chose dans des endroits calmes on peut se sentir plus “entier”, en accord avec “nous même” et plus heureux qu’en recherchant la reconnaissance des autres à travers le succès professionnel et la beauté apparente. Ça demande beaucoup d’effort de l’admettre. Un effort d’indépendance.. Pas facile..
Pour ce qui est de la musique spécifiquement j’en sais sincèrement rien. Ce qui est sûr c’est qu’il me faudra toujours un moyen d’expression quel qu’il soit, c’est un besoin. Même si c’est crieur public dans un village de 10 habitants, il faudra un truc (rire) avec toujours cette volonté de poser certains sujet sur la table et d’avancer ensemble.
* Source: Magazine Marianne n°1337 du 27 octobre au 2 novembre 2022